L’écriture comme prétexte, selon Gaspard Koenig

L’écriture comme prétexte, selon Gaspard Koenig

Contenu rédigé à 100% par un vrai humain, et non une IA ✍️

Six leçons d’écriture inspirées de celui qui ne se définit pas comme un philosophe, mais comme une “machine à écrire”.

7 min. de lecture
Valentin Decker
June 8, 2021
7 min. de lecture
Création

Gaspard Koenig n’est pas un philosophe, mais une machine à écrire.

À 39 ans, il a écrit une dizaine de livres (essais, livres de philosophie, romans) et tient des chroniques régulières dans certains médias papier français bien connus. Également fondateur du think tank Generation Libre, Koenig passe son temps à retranscrire sur papier les idées qui l’animent.

Cet article n’a pas pour rôle de commenter, débattre ou approuver ses convictions politiques. Mais de mettre en lumière les principes d’écriture qui le guident et qu’il partage dans son excellente interview pour le podcast Generation Do It Yourself.

J’ai souhaité écrire cet article pour deux raisons. D’abord, parce que je considère ses conseils comme étant importants pour quiconque souhaite écrire. Ensuite, parce qu’ils font écho à la philosophie Sauce Writing et à de nombreuses convictions personnelles.

Pour Gaspar Koenig, l’écriture, ce n’est pas de l’inspiration ; “je n’écris pas la nuit, en fumant des cigarettes et en écoutant Coltrane”. L’écriture est un travail qu’il faut prendre au sérieux. Ceux qui me suivent savent à quel point cette idée me parle.

Si vous souhaitez, prendre votre écriture au sérieux, voici donc quelques précieux conseils.

Tisser un rapport personnel avec le sujet pour se crédibiliser

Lorsque Gaspard Koenig décide d’écrire sur un sujet, il ne se contente pas de le faire de manière théorique ou abstraite. “Philosophe de terrain”, il se déplace au centre de l’action et se demande comment être pertinent pour bien en parler.

Koenig cherche à se placer dans une position où il pourra raconter des choses intéressantes, originales ou inattendues. Des choses qui apporteront un éclairage pertinent sur le sujet. Qui crédibiliseront son point de vue et lui donneront du matériel d’écriture.

Quand il écrit sur la légalisation du cannabis, par exemple, Koenig ne se contente pas d’un état des lieux théoriques et d’une analyse “pour” ou “contre” binaire. Il se rend à Denver, un endroit qui a légalisé le cannabis depuis plusieurs années, pour comprendre ce que cela signifie. Il documente son voyage, interroge des locaux et construit son opinion avec ses propres yeux.

Koenig répète ce processus à chaque fois. Dès qu’il soutient une théorie, il se rend dans le lieu où cette théorie est appliquée de la manière la plus radicale possible. “Des entrepreneurs rwandais, aux déshérités de Lima en passant par les prisonniers finlandais ou les villageois suisses, Koenig parcourt le monde depuis trois ans pour confronter ses idées à la vie des gens”.

Vivre des expériences pour trouver du matériel d’écriture

Koenig ne se déplace pas uniquement lorsqu’il veut défendre un point de vue sur un sujet. Il le fait également quand il n’a rien à dire.

Le 22 juin 2020, Gaspard Koenig monte sur son cheval, Destinada, et s’embarque pour un voyage de 2500km qui va le conduire de Bordeaux à Rome. Son plan est d’imiter ce même trajet réalisé par Michel de Montaigne, 440 ans avant lui. Son itinéraire le fait passer par les Vosges, le Rhin, la Suisse, la Bavière et l’Autriche, pour finalement rejoindre l’Italie.

Quand il part, Koenig sait ce qu’il fuit, mais il ne sait pas ce qu’il cherche.

Il est à la recherche “de rencontres hasardeuses, de discussions improbables, d’aventures imprévues qui sont le quotidien du voyage à cheval, et qui manquent si cruellement à notre société trop ordonnée”.

Ce voyage, il le documente de manière remarquable sur son site ainsi que pour Le Point. On peut le suivre en direct, voir ses différents arrêts, découvrir ses aventures au fil de l’eau et lire ses récits.

Car oui, il s’agit toujours d’écriture. Pendant ce périple, Koenig consigne des centaines de pages de notes et de photos qu’il va pouvoir mettre en mots sous forme d’articles.

De manière intentionnelle, Koenig vit des expériences qui vont lui offrir d’innombrables choses à raconter. Il sort de sa tête et de ses pensées pour trouver du matériel d’écriture neuf. Il n’attend pas que l’inspiration vienne à lui ; il va la chercher.

Cela me rappelle d’ailleurs les mots de Paul Johnson à l’égard de Winston Churchill : “Un soldat a besoin de faire la guerre, et Churchill en avait besoin plus que quiconque. Il transformait la guerre, en mots, qu’il transformait ensuite en argent”.
“Le pattern de la vie du jeune Churchill était établi : trouver des guerres quelque part dans le monde et réussir à y participer pour ensuite en écrire des articles et des livres.”

Faire de l’écriture sa priorité

Certains jours, les mots viennent avec difficultés. D’autres jours, la tâche est plus aisée.

Mais en bonne machine à écrire, Gaspard Koenig ne s’accorde aucune excuse pour ne pas s’adonner à la tâche qui le stimule et le fait vivre. L’écriture n’est pas un hobby, mais une discipline qu’il poursuit avec rigueur et engagement. Comme un artisan.

Koenig démarre toujours ses journées par écrire quelques heures. Sans interruption ni dérangement. Il se fixe le cap d’écrire 10 000 signes chaque jour et ne s’arrête pas avant de l’avoir atteint.

Au fil des semaines, les dizaines de milliers de signes s’accumulent pour devenir des centaines de milliers.

Gaspard Koenig est alors de ceux que l’on peut qualifier d’auteurs prolifiques. Non pas par son génie ou son exubérance. Mais par sa discipline de fer et sa progression inexorable.

Écrire pour forger son opinion

La pire idée pour Koenig ? Déléguer l’écriture de ses livres à des plumes freelances ou des ghostwriters.

L’écriture fait partie intégrante de son travail philosophique. “Les idées ne viennent pas de manière abstraite, à partir de zéro”. C’est en écrivant et en mettant ses pensées sur sa feuille que Koenig construit ses opinions. L’écriture l’aide à affiner ses idées et en découvrir la profondeur.

“Lorsqu’un philosophe écrit, il ne passe pas son temps à écrire. Il s'agit plutôt d'une forme d'exploration intellectuelle, qui consiste à suivre des embryons d’idées et à se heurter à divers obstacles sur la voie de la découverte de la forme finale d'une idée” (David Perell, dans How Philosophers Think).

Koenig n’écrit pas de “longues envolées parfaites”. Son écriture est plus chaotique ; fruit d’un travail minutieux. Tel un joaillier, il passe du temps à sertir et peaufiner chaque phrase.

L’écriture est un moyen de partir à la découverte de soi. Elle crée un cadre qui nous permet d’explorer nos pensées pour en comprendre le sens et l’origine. Dans un monde de sollicitations perpétuelles, l’écriture nous donne un prétexte pour appuyer sur pause et réfléchir.

Écrire pour mieux ressentir. Écrire pour comprendre. Écrire pour faire des choix.

Identifier et mettre en mots des idées contre-intuitives

Les articles les plus intéressants sont ceux qui permettent d’expliciter une pensée confuse. Ils mettent des mots sur des idées que l’on a vaguement en tête, mais que l’on ne parvient pas à bien formuler.

Souvent, il s’agit d’idées qui semblent n’avoir aucun sens à première vue. “Mais pourquoi est-ce que tout le monde pense cela ? Pourquoi est-ce que les gens agissent de cette manière ? Je ne comprends rien à cette nouvelle tendance.”

L’écriture permet alors de débusquer et de comprendre. Comme le dit David Perell, “lorsque le monde fait le contraire de ce que vous pensez qu'il va faire, ce n'est pas le monde qui a tort. C'est vous. Les choses qui n'ont pas de sens pour vous, sont vos meilleures opportunités d'apprentissage.” Et d’articles à écrire.

Voici plusieurs clefs pour identifier ce type d’idées, que j’aime qualifier de “contre-intuitives” :

  • Observer le monde autour de soi

La première ressource à notre disposition pour trouver du matériel d’écriture est notre vie de tous les jours. Nos trajets pour aller aux bureaux. Nos sorties au restaurant. Nos trajets de gares en gares.

Notre rôle, en tant qu’auteur, est de capturer ce qu’il s’y passe et de puiser dans cette immense source d’inspiration. De parvenir à voir l’inattendu dans le banal ou le normal. C’est ce que fait Gaspard Koenig lorsqu’il documente ses pensées au fil de l’eau.

J’utilise également ces mécanismes pour illustrer mon article qui parle de ma recherche de nuance.

  • Se nourrir en permanence

Lorsqu’il n’écrit pas, Koenig lit. Il s’inspire, se nourrit et dévore toutes les ressources intellectuelles qui lui tombent sous la main.

Comme le répètent de nombreux auteurs, le prérequis pour bien écrire est de lire beaucoup.

Non seulement pour enrichir ses idées et mieux comprendre le domaine dans lequel on souhaite écrire. Mais également pour se nourrir du style des autres et de leurs manières de fonctionner. Et, in fine, trouver son propre style.

“Plus on écrit et plus on trouve son style. On démarre par un style que l’on emprunte à d’autres et au fur et à mesure, on se découvre. On trouve son propre style.” - Gaspard Koenig.

  • Associer plusieurs sources d’idées pour créer une combinaison unique 

Enfin, la dernière clef pour parvenir à identifier des idées contre-intuitives est de mélanger plusieurs univers. D’utiliser notre connaissance de l’univers A pour expliquer le comportement irrationnel dans l’univers B.

Cela implique de cultiver nos différents centres d’intérêt et de ne pas les brider. De telle sorte à faire émerger des points de singularité qui nous sont propres et qui nous fournissent des clefs de compréhension uniques sur le monde.

Accepter d’être incessamment corrigé

Pour progresser et aspirer à la rédaction de très bons textes, “il faut accepter d’être incessamment corrigé”. Gaspard Koenig soumet chaque texte qu’il écrit à un regard extérieur qui l’aide à perfectionner ses productions. Pour ses livres, ses parents sont les premiers relecteurs attentifs. Pour ses articles et essais dans la presse, ce sont les directions des publications qui exercent un regard critique.

Une bonne relecture doit être froide et objective. L’écrivain qui vient de terminer sa création est, au contraire, encore marqué par la bataille d’idées qu’il vient de mener. Son cerveau est encore chaud, presque fumant. Si vous écrivez régulièrement, vous savez à quel point il est difficile de relire son article avec un œil neuf une fois celui-ci terminé.

L’écrivain est comme le DJ qui construit et fait évoluer sa création en fonction des réactions de son public. Il ajuste ses idées et le rythme de son texte en fonction de l’effet qu’ils produisent sur les premiers lecteurs. C’est ainsi que Koenig a pu former sa plume.

Pour visualiser l’importance de la relecture extérieure, j’aime envisager la rédaction d’un article en deux temps et utiliser la métaphore du tailleur de pierre.

Étape 1 : Rédiger votre premier bloc de texte


Votre premier job est d’extraire un premier gros bloc de pierre. Ce bloc est votre brouillon. Il contient votre angle et les arguments que vous souhaitez déployer. Il s’agit du premier jet de votre article.

L’important est d’accepter la nature de ce premier jet : imparfaite. À ce stade, votre rôle est de mettre vos idées sur papier dans le bon ordre et d’arriver à bout de ce premier travail d’écriture. Votre article passe de 0 à 1. De “Je n’existe pas” à “j’existe”. Le plus vite possible.

améliorer peaufiner texte
Étape 2 : Peaufiner et améliorer votre texte

Vient ensuite la deuxième étape. À partir de ce premier bloc, on effectue un travail d’affinage et de peaufinage. Le but est désormais de donner à votre article sa forme finale. De passer chaque phrase à la loupe pour en étudier la pertinence et le style.

C’est à ce moment que la relecture externe est essentielle. Elle permet de voir les défauts et les zones d’amélioration qui nous échappent.

Écrire la porte fermée. Relire la porte ouverte.

Impacter le monde avec nos idées

Voici donc les rouages qui animent la machine à écrire “Gaspard Koenig”.

Koenig se sert de l’écriture comme d’un prétexte formidable pour vivre des aventures hors du commun et en extraire des leçons de vie universelles. C’est également un outil qui lui permet de mieux se connaître et de formuler les pensées qui occupent son esprit. L’écriture est indissociable de sa pensée philosophique.

Les idées gouvernent notre monde et structurent nos sociétés. Elles animent nos débats, éveillent notre conscience et font progresser l’intelligence collective de l’espèce humaine.

Pour que les nôtres aient une chance d’impacter le monde, il faut prendre le temps de les mettre sur papier. Gaspard Koenig est un très bon exemple.


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Patrick Charrault,
le
31
August
2021
Cher Valentin, merci de m'avoir fait découvrir un auteur dont j'ignorais complètement l'existence. J'ai suivi les liens, lu tes commentaires. Puis j'ai relu ton article d'un trait et me suis dit : les tites/sous-tires, voire une phrase eplicative, résumeraient très bien le propos et iraient droit à l'essentiel. Alors je me suis demandé si cette réflexion n'était pas due au fait que j'avais lu en profondeur, plutôt qu'à la volée ton article. D'où ma question : est-ce que tu aurais pu véhiculer le même message fondamental en faisant plus court, ou éventuellement en mettant une sorte de bibliographie à la fin ? Ce qui y est dit est très inspirant, et je m'interroge sur la façon d'interpeler le lecteur pour qu'il veuille en savoir plus. Merci de tes lumières, Patrick.
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