À première vue, Harvard semble être une institution dépassée. Symbole d'un monde réservé aux super-élites, où l'on s'endette à vie pour payer un diplôme.
C’est ce que je me disais encore il y a quelques semaines, avant que je ne commence à faire des recherches pour écrire cet article.
Je me disais que le succès dont Harvard profite encore aujourd’hui n’est que le résultat de l’image prestigieuse que l’Université cultive depuis une centaine d’années. Harvard bénéficie des fruits issus des graines plantées au siècle dernier. Mais elle ne doit plus trop en avoir pour longtemps.
Comment une université qui propose des frais d’inscription annuels qui se comptent en centaines de milliers de dollars, peut-elle survire à Internet et la profusion des contenus gratuits ?
Comment faire face à la décentralisation de l’éducation et à l’explosion du nombre de programmes de formation de niche, destinés aux adultes ?
Les perspectives d’avenir pour Harvard ne me semblaient pas réjouissantes.
Mais je me trompais. Harvard possède, dans sa manche, une carte dont je sous-estimais l’ampleur.
Dans cet article, je ne vais pas m’attarder sur les frais d’inscription exorbitants demandés par Harvard et leur pertinence en 2022 (même si j’ai mon avis sur la question).
Je vais plutôt décortiquer un aspect méconnu de la célèbre Université de l’Ivy League : son média.
J’imagine que, comme moi, vous avez déjà vu les magazines édités par Harvard, les Harvard Business Review (HBR), dans les boutiques Relay des gares ou des aéroports. Vous avez peut-être déjà vu passer des articles de cette même HBR ici et là, sur Internet.
Je n’avais jamais saisi la taille, l’importance de ce média et son rôle stratégique.
Un chiffre pour comprendre ? 262 Millions de dollars. Soit le chiffre d’affaires réalisé par Harvard Business Publishing (l’entité média d’Harvard, qui gère notamment HBR) en 2020. Cela correspond à 28% du chiffre d’affaires global réalisé par Harvard.
Un tiers des revenus d’Harvard provient directement de son activité de média. C’est tout sauf négligeable.
Dans cet article, je vous propose donc de plonger dans le fonctionnement d’Harvard Business Publishing (HBP). Nous allons tirer des leçons précieuses, qui s’appliquent à toutes les écoles et entreprises qui proposent des programmes d’éducation (physiques ou en ligne).
Avec une conclusion à retenir dès maintenant : la construction d’un média devient incontournable pour les acteurs de l’éducation.
Un peu d’histoire et de contexte sur les activités média d’Harvard
Commençons par la base et une petite dose d’histoire.
Nous sommes en 1922 quand Wallace Donham, le doyen de la Harvard Business School, décide de lancer officiellement la première édition du magazine, la Harvard Business Review.
L’idée de Donham est de créer un magazine orienté business / management et de rendre une partie des cours enseignés dans la prestigieuse université, accessible au grand public.
À l’époque, les doutes autour de ce projet sont nombreux. Donham lui-même n’est pas convaincu par l’idée. Ce magazine, accessible contre un prix de $5 (une somme élevée pour l’époque), va-t-il trouver un public ?
Pendant les 25 premières années d’existence du magazine, le succès est loin d’être évident. Le magazine a du mal à se développer et peine à être rentable. En 1945, le nombre d’abonnés est de 14 000 et grandit au maigre rythme d’environ 600 nouveaux abonnés par an.
Mais la direction d’Harvard a le mérite de ne pas enterrer le projet pour autant. Si les chiffres de ventes ne sont pas très impressionnants, les équipes d’HBR commencent à monter en compétences. Les synergies entre les cours dispensés et les contenus présents dans le magazine sont de plus en plus évidentes. L’équipe éditoriale du magazine parvient de mieux en mieux à exploiter les recherches et travaux effectués par l’équipe académique de professeurs d’Harvard.
HBR bénéficie alors d’un excellent timing.
La plupart des théories modernes sur le management et l’organisation des entreprises émergent dans le contexte de croissance, post-Seconde Guerre Mondiale. À ce moment, HBR est idéalement positionnée pour s’imposer en tant que leader sur le marché des publications business. La demande pour ce type de contenus explose.
Cela tombe bien, cela fait une trentaine d’années qu’Harvard se positionne et affine ses compétences média.
S’en suit ensuite une forte période de croissance pour HBR. En 1965, le nombre d’abonnés est de 83 000. En 1985, ce nombre atteint les 250 000.
Après avoir passé un demi-siècle à améliorer le niveau du contenu et des études de cas proposées dans le magazine, les équipes d’HBR s’attaquent à un autre chantier. Pour continuer à développer le magazine, il faut toucher un nouveau public. Et pour cela, il n’est plus question de proposer du contenu académique, à la prose et au style difficiles à lire.
La concurrence émerge. ll est temps de faire un effort pour améliorer la qualité rédactionnelle des articles et proposer des textes plaisants à lire.
La prochaine étape majeure pour la division média d’Harvard se situe en 1994. La direction d’Harvard décide de créer une entité pour englober toutes ses activités de création de contenu, située au-dessus du magazine HBR dans la hiérarchie.
C’est la naissance d’Harvard Business Publishing (HBP). Cette supra division inclut désormais le magazine, les livres édités par Harvard, l’organisation de séminaires et toutes autres activités liées.
HBP est un département à part entière au sein de l’organigramme global d’Harvard et offre au média l’indépendance dont il a besoin pour continuer à se développer.
En 2004, alors que les blogs se multiplient et que la plupart des gros médias suivent le mouvement en publiant leur contenu sur Internet, les dirigeants d’HBR décident “qu’HBR ne bloguera pas”. Ils affirment que les contenus “éphémères” d’Internet ne sont pas alignés avec l’image de marque d’HBR.
En 2010, le management d’HBR revient sur cette décision et lance enfin la version numérique du magazine. Pas question de manquer le grand tournant d’Internet. Les lecteurs sont au rendez-vous, permettant d’augmenter le nombre d’abonnements, ainsi que les revenus issus de la publicité.
Aujourd’hui, le site d’HBR enregistre un trafic de 11 millions de visiteurs uniques, chaque mois. Le magazine papier compte près de 350 000 abonnés à travers le monde.
En 2022, HBR souffle sa centième bougie. Mais le média (et HBP au sens large) n’entend pas se ranger dans la catégorie des médias historiques incapables de se renouveler.
La chaîne Youtube d’HBR compte 400 000 abonnés. Leurs réseaux sociaux cumulent 30 millions de followers sur toutes les plateformes. HBR est également présent sur Tik Tok et n’hésite pas à investir sur les médias émergents. Ils y créent du contenu natif pour augmenter encore le reach de la marque, surtout auprès d’une jeune audience.
Harvard Business Publishing est devenu une machine multimédia qui produit du contenu sous toutes ses formes : essais long-formats, articles courts, vidéos, podcasts, etc. Tout en conservant précieusement ce que Adi Ignatus, l’éditeur en chef d’HBR, apelle “le joyau de la couronne” : la version papier du magazine d’HBR.
HBR est devenu le témoin privilégié des évolutions dans le management et les organisations des entreprises depuis 100 ans. Si vous vous baladez sur la page qui héberge toutes les couvertures des magazines HBR depuis 1940, vous effectuerez un voyage à travers le temps. Avec chaque couverture comme symbole du débat et de la préoccupation managériale du moment.
Comme je le disais en introduction, en 2020, le chiffre d’affaires réalisé par HBP est de $262 millions.
Harvard Business Publishing n’est donc pas qu’un simple moyen de communication pour faire parler de l’université et pousser de nouveaux élèves à s’inscrire.
C’est une ligne de revenus à part entière. Et c’est loin d’être anodin.
Les enjeux marketing d’une école (physique ou ligne)
Si demain, vous preniez la tête du département marketing d’HEC Paris, que feriez-vous ?
Vous verrez rapidement que le marketing d’une école est loin d’être évident.
Les frais de scolarité représentent un premier facteur important, qui s’ajoute à un cycle de conversion long et complexe. La décision d’un étudiant de rejoindre telle ou telle école se prend sur plusieurs mois, voire plusieurs années.
Le choix d’une école n’est pas anodin. Dans son processus de réflexion, l’étudiant va récolter de nombreux signaux, à différents moments de son parcours. Le parcours des alumnis de l’école, les recommandations de ses professeurs actuels, les salons étudiants, la présence en ligne de l’école, le choix de son orientation, le choix du lieu, etc.
Avec une variable supplémentaire à prendre en compte : l’avis des parents. Dans la majorité des cas, ce sont eux qui vont devoir supporter le coût financier de l’école.
La question du retour sur investissement possible va être déterminante dans ce processus de décision. Quel cursus, quelle école, va permettre à l’élève d’obtenir les meilleures opportunités professionnelles et d’avoir la meilleure carrière ?
Cette question permet de prendre conscience du véritable enjeu marketing : la confiance.
Choisir une école est un pari. A priori, il n’y a aucun moyen de savoir que cela va marcher : que cela va plaire à l’élève, lui permettre de s’épanouir, de trouver un bon job, etc.
On peut simplement essayer de se renseigner au maximum afin de prendre une décision la plus éclairée possible.
Pour ne rien arranger, ce choix devient de plus en plus difficile à effectuer. Aux écoles traditionnelles qui proposent des cursus en présentiel, il faut désormais ajouter les écoles en lignes qui proposent des programmes similaires. Le nombre d’options disponibles est immense.
Le niveau de confiance nécessaire devient, lui aussi, de plus en plus élevé.
Du point de vue de l’école, cela rend le travail de marketing indispensable, mais également très délicat.
Le cycle de conversion étant long et complexe, il est très difficile de faire du marketing de performance. Les nombreux points de contacts entre un élève et une école (surtout une école physique) sont tellement nombreux que la mesure de la rentabilité d’une campagne marketing est quasi-impossible.
La plupart des écoles continuent donc de faire du marketing “à l’ancienne” et de jeter des pièces en l’air, en espérant qu’elles tombent du bon côté. Distribution de flyers, participation à des salons, intervention au sein des écoles inférieures pour expliquer à quel point leur programme est le meilleur, publicités dans les arrêts de bus, etc.
On se rend bien compte que cela n’est pas suffisant. Surtout dans un monde où :
- Le nombre de nouvelles écoles en ligne explose ;
- Des formations très nichées (surtout en ligne) font leur apparition.
Si une école propose un programme sur une thématique similaire à la vôtre, comment vous différencier ?
Surtout, comment communiquer cette différence, au-delà des discours institutionnels copiés / collés ?
C’est ici que la création d’un média est clef.
Le niveau du média doit refléter le niveau de prestige de l’école
Récapitulons rapidement ce que l'on vient de voir.
D’un côté, le cycle d’inscription d’un élève à la recherche d’une école est long et complexe. Sa décision se mûrit sur plusieurs mois. La personne qui va suivre le programme (l’élève) n’est pas toujours celle qui va en supporter les frais d’inscription (les parents).
De l’autre, la concurrence entre les écoles s’intensifie d’année en année. Les écoles traditionnelles que l’on suit après le Bac ne doivent plus simplement se battre entre elles, mais également contre une flopée d’acteurs en ligne. Ces acteurs proposent des formations nichées sur des thématiques spécifiques et n’hésitent pas à se positionner de manière frontale face aux écoles traditionnelles.
Sauce Writing est d’ailleurs un bon exemple. Je propose des formations en création de contenu très spécifiques, destinés aux consultants, freelances, salariés et entrepreneurs qui souhaitent écrire pour accélérer leur carrière.
Ces deux points permettent de comprendre pourquoi la confiance est un élément clef dans l’équation.
- La confiance que l’élève va recevoir un enseignement de qualité dans cette école ;
- La confiance qu’il va pouvoir en retirer un retour sur investissement ;
- La confiance qu’il ne va pas perdre son temps ;
- etc.
Créer de la confiance est précisément ce que permet de faire un média.
Chaque contenu de votre média permet :
- De véhiculer votre expertise et votre savoir-faire ;
- D’expliquer votre philosophie et en quoi votre approche est différente (et idéalement plus pertinente) que les autres ;
- D’apporter un début de réponse aux questions que se pose votre audience.
Le rôle des contenus produits par le média n’est pas de vendre ou de faire la promotion directe de l’école. Qui a envie de lire ce genre de contenus ? Pas grand monde.
Il s’agit plutôt d’éduquer et d’intéresser son lecteur. Lui apporter un éclairage nouveau. Une réflexion qu’il n’avait pas envisagé.
Pour un produit au cycle de conversion long comme de l’éducation, l’enjeu est de bâtir sa crédibilité et sa réputation. Idéalement, avant même que l’élève ne songe à s’inscrire.
Dans mon article sur l’émergence des solomédias, les individus qui deviennent leur propre média, je définissais le Marketing comme l’action qui consiste à créer un monde.
"Plus ce que vous essayez de vendre est complexe ou délicat à comprendre, plus il est important pour vous de construire un monde autour de vos idées. Un monde dans lequel d'autres personnes peuvent entrer, explorer et passer du temps. Un monde si riche et si captivant que les autres veuillent y venir naturellement."
C’est exactement le rôle d’un média.
Le contenu permet d’être présent de manière régulière et dans la durée, afin de devenir l’école à laquelle pense l’élève de manière instinctive. Le fameux “top of mind”.
“Si un jour je souhaite effectuer un MBA, je vais certainement commencer par postuler chez Harvard.”
Créer un média ne s’improvise pas. Et si la plupart des écoles tentent de s’y mettre en lançant un blog, un podcast ou une newsletter, peu tirent leur épingle du jeu.
Il ne s’agit pas simplement d’écrire quelques articles optimisés pour le SEO dans le but de remonter sur Google dans les requêtes “meilleure école de commerce” ou “école de commerce Paris”.
L’enjeu est plutôt de créer le genre de contenus qui mettent en lumière la différenciation, les spécialisations et la singularité de l’école.
Le média doit être un reflet de l’école. Il doit être aligné avec l’image, la crédibilité et le niveau de sérieux que l’école est censée renvoyer.
N’oublions pas qu’un diplôme est un signal. Un signal qui signifie : “j’ai eu le niveau pour entrer dans cette école, je suis un bon étudiant et je serai un bon élément sur le marché du travail”.
Votre média est également un signal. “La qualité des idées que vous y trouvez reflète la qualité de l’enseignement de notre école”.
Il est important de comprendre cela car la création de contenu n’est pas seulement à propos du contenu en lui-même. C’est aussi une question de valeur perçue. Une question de jauge de crédibilité.
Quand on partage un contenu sur Internet ou à notre réseau, c’est en grande partie pour se sentir bien. Nous nous identifions avec ce contenu et, très souvent, ce partage renforce le statut que l’on souhaite obtenir. Inconsciemment, c’est une manière de paraître intelligent.
C’est exactement pour cela que les fameuses vidéos de conférence TED ont eu un tel succès il y a quelques années.
Partager une vidéo TED sur votre profil Facebook ou Linkedin veut dire quelque chose. Vous renvoyez un certain signal. “Je suis le genre de personne qui regarde des conférences TED, le soir”.
Quand vous achetez la dernière édition du magazine Harvard Business Review avant de prendre l’avion, cela dit quelque chose de vous.
Quand vous partagez le dernier article lu sur le blog d’HBR sur votre compte Twitter, vous renvoyez un signal.
Créer un média avec succès (que vous souhaitez l’adosser à un programme de formation, ou non) nécessite de ne pas négliger cet aspect.
Harvard l’a parfaitement compris.
L’image que cultive Harvard est celle de la meilleure université du monde. La plus prestigieuse. La plus demandée. La plus chère.
Et cela se reflète dans leur média.
Les contenus produits par HBP visent tous à être les références dans leur catégorie.
Dans ses règles éditoriales, HBR explique que “nous essayons d’armer nos lecteurs avec des idées qui vont les rendre plus intelligents, plus créatifs et plus courageux dans leur travail. Pour faire cela, nous invitons les plus grands experts mondiaux du management (aussi bien sur la théorie que la pratique) à partager leurs idées et leurs conseils.”
Les équipes d’HBR évaluent chaque nouveau contenu à l’aune de 5 critères :
- L’expertise. “Vous n’avez pas besoin d’être connu pour contribuer à HBR, mais vous devez connaître votre domaine sur le bout des doigts” ;
- Les preuves. “La connaissance profonde de votre domaine n’est pas suffisante. Vous devez appuyer ce que vous avancez avec des preuves et de la recherche” ;
- L’originalité. “Les nouvelles idées en management sont rares et précieuses. C’est exactement ce que viennent chercher nos lecteurs chez nous” ;
- L’utilité. “Notre but n’est pas seulement de nourrir les réflexions de nos lecteurs, mais aussi de leur donner les clefs pour avoir un impact concret” ;
- Une écriture persuasive et agréable à lire. “Les lecteurs d’HBR sont intelligents, sceptiques et occupés. Si vous ne captez leur attention rapidement, ils passeront à autre chose”.
Si Harvard veut que son média serve son objectif et alimente l’image de prestige de l’Université, ils n’ont pas le choix que de faire de la très haute qualité. Et de proposer des contenus meilleurs que tous les autres.
Cette qualité a été célébrée en janvier 2000 par The Economist qui couronne HBR comme le magazine de référence en termes de business depuis près d’un siècle. "[HBR est] une publication qui définit presque à elle seule l'ordre du jour des débats sur le management".
Les équipes d’HBR parviennent à écrire le contenu must-read pour les managers éclairés qui veulent constamment améliorer leurs pratiques. Pour les contributeurs externes (experts, théoriciens, etc.), HBR est également devenu l’endroit le plus prestigieux pour partager leurs dernières découvertes.
Certains articles publiés par HBR sont devenus incontournables : les travaux de Porter et ses fameuses 4 forces, la stratégie Océan Bleue, le dilemme de l'innovateur de Clayton Christenssen, les théories de Peter Drucker, etc.
Malgré l’ère du maintenant perpétuel et l’instantanéité que nous imposent les réseaux sociaux, HBR continue de miser sur du contenu long format. Fouillé et travaillé.
Ce n’est pas un hasard.
Collectivement, nous lisons certainement moins de textes longs aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans. Nous avons beaucoup plus d’options et notre attention est courtisée de toute part.
Mais si l’on souhaite comprendre et assimiler une idée en profondeur, la lecture de textes au format long est le meilleur moyen d'y parvenir.
Les personnes les plus ambitieuses dans leur carrière, celles qui souhaitent apprendre, progresser et se renouveler, sont prêtes à investir l’attention et le temps nécessaires pour lire ces textes longs fomat.
Mieux encore, pour ces personnes, le long format est un gage de qualité. Une barrière à l’entrée supplémentaire qui rend les idées présentes dans le texte uniquement accessibles aux plus motivés.
HBR cible précisément ce type de lecteurs.
Make once, sell infinitely
Les écoles qui souhaitent lancer leur propre média possèdent un avantage concurrentiel très important : elles possèdent déjà une immense bibliothèque de contenus.
Quand Wallace Donham lance la Harvard Business Review en 1922, il sait que les équipes éditoriales du magazine vont pouvoir s’appuyer sur le contenu créé et utilisé à l'occasion des cours.
Il n’y a pas besoin d’effectuer un gigantesque travail pour identifier, rechercher et créer le contenu de zéro, comme le ferait n’importe quel autre magazine.
Harvard a la chance de posséder une activité qui force ses enseignements à renouveler régulièrement le contenu de leurs cours. Chaque année, ils doivent se tenir au courant sur les dernières évolutions de leur discipline afin de garantir un enseignement de très haute qualité.
Le plus intéressant ? La grande majorité de ces contenus est intemporelle, evergreen.
Les études de cas réalisés dans le cadre des cours (et visibles dans le magazine) possèdent une durée de vie de plusieurs dizaines d’années.
Pour les équipes d’HBR, c’est une mine d’or. Réutiliser le contenu existant permet de scaler ce contenu et de réduire les coûts du magazine.
L’autre gros avantage que possède Harvard réside dans son réseau de haute qualité.
Les équipes d’HBR n’hésitent pas à ouvrir le magazine aux contributeurs externes qui souhaitent obtenir de la visibilité et accroître leur réputation en publiant dans le magazine business de référence.
Institutions, entreprises, professeurs, alumnis prestigieux… le nombre de contributeurs potentiels bénévoles est immense.
Harvard Business Publishing est ainsi devenu maître dans l’approche du “make once, sell infinitely” (créer une fois et vendre à l’infini).
HBP s’appuie sur plus d’un siècle de contenus créés par les équipes académiques de l’école. Ils packagent et repackagent sans cesse ce contenu sous différentes formes.
Il y a quelques jours, je me suis rendu dans un kiosque Relay que l’on trouve dans n’importe quelle gare française. J’ai été surpris de voir autant de produits proposés par Harvard Business Publishing :
- La dernière édition du magazine, la Harvard Business Review
- Des mini-livres thématiques, par exemple sur le remote work
- Différentes collections s’adressant aux managers et portant sur tous les sujets qui peuvent l’intéresser : le feedback, le business plan, l’intelligence émotionnelle, etc.
Chaque étude de cas utilisé dans les cours des différents programmes d’Harvard est distillée et réutilisée sous plusieurs formats, dans l’un des produits de HBP.
Cela se traduit de manière directe sur la rentabilité d’HBP. Une comparaison avec les autres médias permet de s’en rendre compte :
- Pour le New York Times, le revenu généré par employé est de $383 000
- Pour The Economist, le revenu généré par employé est de $172 000
- Pour Harvard Business Publishing, le revenu généré par employé est de $582 000
HBP est plus efficace et rentable que tous les plus gros médias, alors même que l’activité cœur du groupe Harvard n’est pas une activité média. Très fort.
Mais cette réutilisation du contenu ne pose-t-elle pas problème ? N’y a-t-il pas un conflit avec ce qui est enseigné ?
Un élève qui s’inscrit à un cursus qui coûte plusieurs centaines de milliers de dollars ne va-t-il pas être en colère de voir que le contenu de ses cours est disponible dans un magazine à 20$ ?
Cette question est légitime. Je me la pose parfois moi-même pour mes contenus.
Mais elle n’est pas si bloquante et problématique qu’il n’y paraît.
En réalité, quand on s’intéresse à l’éducation, on comprend rapidement que la valeur principale d’un enseignement ne réside pas dans le contenu. Cela peut sembler étrange, mais on ne s’inscrit pas à Harvard pour le contenu des cours.
Attention. Le contenu doit être pertinent et de qualité, bien sûr. Mais il n’est pas roi.
On peut le voir avec deux observations simples :
- Sur Internet, la quantité d’information disponible gratuitement est pharaonique.
Wikipédia met à disposition tous les savoirs imaginables, sur n’importe quel sujet. Il est possible d’apprendre les bases de n’importe quelle compétence grâce à Youtube.
Mais sommes-nous plus éduqués pour autant ? Collectivement, avons-nous progressé ou augmenté le niveau de nos compétences ?
Pas vraiment.
- L’essoufflement des formations en ligne enregistrées et consommables à tout moment.
Omniprésentes il y a quelques années, le succès de ces formations s’essouffle.
Leur taux de complétion est très faible ; moins de 5% des élèves vont au bout de la formation qu’ils suivent.
Même si elles peuvent fournir des réponses rapides, elles ne permettent pas la transformation promise, qu’une école est censée apporter.
En réalité, la valeur première d’un enseignement réside dans l’expérience globale proposée :
- La manière unique d’enseigner et d’animer un cours ;
- Le design d’un parcours intuitif et progressif pour transmettre des compétences complexes ;
- Les feedbacks sur le travail et la mise en pratique de ce qui est vu en cours par l’élève ;
- L’accompagnement global qui permet de veiller à ce que chaque élève soit engagé dans son apprentissage ;
- La qualité et l’engagement des autres élèves de la formation. Le groupe cré un cadre responsabilisant et motivant ;
- Le sens d’urgence et les deadlines transmis à l’élève pour le pousser à se dépasser ;
- La qualité du réseau qui va permettre aux élèves de décrocher des opportunités intéressantes une fois la formation terminée ;
- etc.
Bref, tous les éléments qui sont au service d’une transformation profonde de l’élève.
Dans cet objectif de transformation, le contenu est important, mais il est une commodité et disponible partout.
Les meilleurs programmes de formation en ligne commencent à bien le comprendre et adaptent leurs cours. Plus question de proposer des programmes enregistrés qui laissent les élèves seuls avec du contenu à consommer ; désormais ce sont les cours par cohortes qui ont le vent en poupe.
Il est d’ailleurs intéressant de voir que ces cours par cohorte reprennent précisément les mêmes ingrédients que l’école traditionnelle : date de démarrage, date de fin, classe de quelques dizaines de personnes, feedbacks et accompagnement, deadlines, mise en pratique, etc. J’ai construit le Bootcamp d’écriture Sauce Writing précisément sur ce modèle.
Je vous redirige vers l’excellent article de Wes Kao sur le sujet : Dans l'enseignement en ligne, le contenu n'est plus roi, les cohortes le sont.
Dans la création de son média, HBP possède donc un avantage concurrentiel énorme. Les équipes éditoriales du média ont la possibilité de s’appuyer sur l’immense bibliothèque de contenu créée par la Business School. Avec une chance supplémentaire : celle-ci se renouvelle et s’étend chaque année.
“Make once, sell infinitely”, sous de multiples formats.
Transformer la ligne de coûts en ligne de revenus
Assez impressionnant jusqu’ici, n’est-ce pas ?
Attendez, car il manque une dernière pièce au puzzle.
La création d’Harvard Business Publishing a permis de surmonter deux problématiques très importantes, de manière brillante.
- Problématique n°1 : Comment augmenter les revenus d’Harvard, sans diluer l’image de prestige de l’université ?
Les écoles et universités comme Harvard font face à une équation coriace.
D’un côté, Harvard souhaite continuer à se développer en tant qu’entreprise et accroître son chiffre d’affaires.
De l’autre côté, le succès d’Harvard repose en grande partie sur l’image de prestige de ses programmes. Entrer à Harvard est réservé aux meilleurs élèves du monde. L’enseignement qui est reçu est censé être inégalé. La difficulté pour être accepté à Harvard contribue à la réputation de l’université.
Harvard ne peut donc pas se permettre de réduire le niveau d’exigence de la sélection à l’entrée. L’université ne peut pas augmenter le nombre de places disponibles dans ses programmes.
Si elle le faisait, peut-être que cela permettrait d’augmenter ses revenus sur le court terme. Mais les dégâts à long terme sur la réputation de l’école seraient dévastateurs. Sans parler de la difficulté à maintenir un enseignement d’excellente qualité quand on augmente le nombre d’élève dans un programme (ce qui est valable aussi bien pour les écoles physiques qu’en ligne).
L’enjeu majeur pour une école qui se démarque par la qualité de ses programmes est donc de continuer à se développer, sans diluer son image de marque.
Jusqu’à présent, le seul véritable moyen pour accroître le chiffre d’affaires était d’augmenter les frais d’inscription à l’entrée. Mais cette méthode atteint vite ses limites.
- Problématique n°2 : Comment dépasser la “spirale infernale” du Content Marketing ?
L’approche traditionnelle consiste à voir le Content Marketing et la création d’un média comme un canal marketing, dans lequel il faut investir.
Il faut recruter une équipe qui va se charger de créer du contenu, dont l’objectif final sera de générer des ventes pour le produit cœur et d’augmenter le chiffre d’affaires.
Au début, les entreprises qui se lancent dans le Content Marketing démarrent toutes avec les meilleures intentions. Elles travaillent sur un tone & voice, identifient le positionnement du média, ses rubriques, l’angle des contenus, etc. Elles s’engagent avec une envie de faire du contenu de haute qualité, en ayant conscience qu’il s’agit d’un chantier de long terme.
Mais progressivement, le quotidien les rattrape.
Les équipes dédiées au média sont constamment sous la pression de leurs supérieurs qui espèrent fructifier l’investissement réalisé. Chaque mois, le coût financier de cette équipe s’alourdit, pour des résultats qui peinent à se montrer.
Résultat : on compromet sa vision originale et son contenu dans le but d’un retour sur investissement rapide. On délaisse les contenus fouillés et travaillés pour se diriger vers des contenus plus courts, avec un plus grand potentiel de vues sur les réseaux sociaux. On fait des articles check-list rapides (et inintéressants) pour remonter en SEO et générer du trafic.
C’est ce que j’appelle la “spirale infernale” du Content Marketing.
Le besoin d’un retour sur investissement et la volonté de maîtriser les coûts alloués au contenu rendent (dans 99% de cas), les efforts réalisés inefficaces et inutiles.
Le média dépérit progressivement et les équipes se lassent. L’ambition initiale a disparu.
Quelques mois plus tard, le média n’est plus qu’une coquille vide. On le maintient en vie pour ne pas être laissé de côté et faire comme les autres. Mais fondamentalement, la qualité n’est pas au rendez-vous. Le média n’apporte pas grand-chose, hormis la présence d’un onglet supplémentaire sur le site de l’entreprise (ou de l’école).
La réalité est brutale : créer un média de qualité ne s’improvise pas.
Mais je vous le disais, Harvard a réussi à surmonter ces deux problématiques, en faisant d’une pierre deux coups.
Comment ?
Harvard Business Publishing est une source de revenus à part entière, et pas seulement une ligne de coûts dans le budget marketing de l’école.
L’approche “make once, sell infinitely” permet de réutiliser le contenu créé, mais aussi de le vendre plusieurs fois. Sous des formes différentes, pour attirer différents publics.
La gamme proposée par HB est très large :
- Produits à l’unité : magazine, livres, e-books, etc.
- Collections thématiques
- Abonnements au magazine, aux collections, etc.
- Un abonnement pour accéder à toutes les archives d’HBP (qui est d’ailleurs le produit le plus populaire d’HBP)
- Accès au contenu digital.
Ces produits et abonnements se vendent à des millions d’exemplaires chaque année. Le magazine HBR, à lui seul, rassemble 340 000 abonnés.
Plutôt que d’investir dans du marketing de performance, de la publicité ou du sponsoring, Harvard s’attache à produire le meilleur contenu possible. Et à exploiter sa bibliothèque du mieux possible.
Au passage, c’est également une idée brillante dans la mesure où les magazines et différents produits papier font de la pub en permanence pour Harvard.
Combien cela coûterait pour Harvard de coller des affiches dans toutes les gares de France (et pour quelle efficacité) ?
Certainement très cher, pour très peu de résultats. Mais Harvard n’a pas besoin de cela.
Grâce à HBR, Harvard est présent (et bien placé) dans tous les kiosques et Relays de France, gratuitement. Et au passage, ils gagnent de l’argent, renforcent leur image de marque et se positionnent comme du contenu à forte valeur (comme en témoigne le prix de leurs produits).
Dernier avantage de cette stratégie : l’indépendance des équipes éditoriales du média.
Comme nous l’avons vu précédemment, HBP est une entité rentable, avec un chiffre d’affaires important, de $262 M.
Les équipes d’HBP n’ont pas besoin de naviguer dans de la politique interne et de jongler avec un budget qui doit être renégocié chaque année. Il n’y a pas de risque de tomber dans la spirale infernale du contenu.
Elles sont financièrement indépendantes et peuvent se concentrer sur leur seul objectif : produire un contenu d’excellente qualité.
Cette stratégie fonctionne tellement bien qu’HBP est devenu la première source de revenus du groupe Harvard. Cela paraît fou, mais HBP génère davantage de revenus que les programmes d’éducation d’Harvard Business School.
28% des revenus d’Harvard sont issus de ses activités média, contre seulement 15% pour ses programmes scolaires classiques.
Conclusion
Quel est l’avantage compétitif fondamental d’une école, qu’elle soit en ligne ou en physique ? Quel est son “Moat”, sa douve de protection contre les envahisseurs et ses concurrents ?
Pour une école établie, on pourrait certainement parler de sa réputation, de son image de marque et du réseau auquel elle donne accès.
On pourrait éventuellement parler de la qualité de ses enseignants, même si cet élément est difficile à voir de l’extérieur, avant de s’inscrire dans l’école.
Mais je ne vois pas grand-chose d’autre.
Les informations transmises pendant les cours ne sont plus une barrière à l’entrée ou un élément différenciant. Elles sont accessibles partout, tout le temps.
Cette question, celle de savoir quel est l’avantage compétitif d’une école, est d’autant plus pertinente aujourd’hui que le marché de l’éducation est en pleine transformation.
Il se fragmente et se morcelle. Le nombre d’acteurs de niche explose. Il devient accessible à n’importe qui de lancer sa petite académie et d’enseigner une compétence.
Harvard l’a bien compris et cultive l'avantage compétitif énorme construit patiemment depuis un siècle : son média, Harvard Business Publishing.
Harvard Business Publishing permet :
- D’attirer l’attention et de faire grandir la réputation de l’école, venant ainsi renforcer l’attrait pour son produit cœur (ses programmes d’éducation) ;
- D’augmenter le revenu global du groupe Harvard sans augmenter le nombre de places disponibles et diluer l’image de ses prestigieux programmes. Mieux, HBP est la source de revenu numéro une ;
- D’éviter la spirale infernale du Content Marketing. HBP est un média rentable, ce qui garantit sa liberté, son indépendance avec le budget marketing de l’école et sa capacité à investir.
Harvard a tellement poussé cette stratégie que l’on pourrait même s’interroger sur la véritable nature de l’entreprise. Est-ce une université qui édite son propre média pour se faire connaître ? Ou un média qui se monétise via des programmes d’éducation ?
Quoi qu’il en soit, tous les acteurs de l’éducation devraient s’inspirer de ce modèle car il est brillant.
Je suis convaincu que les écoles qui vont survivre et se développer demain, sont celles qui parviendront à créer le média de référence dans leur thématique.
Transformez votre LinkedIn en aimant à opportunités… en 90 jours
Une Masterclass gratuite dans laquelle je vous dévoile les 3 piliers nécessaires pour trouver des clients avec votre création de contenu sur LinkedIn.