J'ai eu l'idée de cet article après la lecture du livre “The Fifth Risk” de Michael Lewis. Je suis tombé dessus par hasard, en me baladant à l’aéroport. Cela faisait longtemps que je voulais lire un livre sur la politique américaine. La couverture et la petite taille de cet ouvrage ont attiré mon attention.
Sa lecture m’a marqué. Au fur et à mesure que je le lisais, j’alternais entre indignation et colère. C’est l’un des meilleurs livres que j’ai lus cette année. J’estime même qu’il est d’utilité publique de le lire.
Une fois terminé, j’ai reposé le livre en me disant que l’auteur avait réalisé un excellent travail pour me convaincre et me rallier à son point de vue. J’ai pris du recul pour comprendre comment il s’y est pris. J’en tire des leçons très utiles pour apprendre à convaincre et persuader. Si vous créez du contenu (qu'il s'agisse d'articles, de vidéos, etc.) ou êtes Copywriter, cet article va vous donner des idées.
La thèse du livre : Trump est dangereux
Mettons-nous à la place de l’auteur, Michael Lewis, et essayons de comprendre ses choix.
L’idée qu’il défend est la suivante : la Présidence de Donald Trump est dangereuse pour le pays. Trump a pris de nombreuses mesures, invisibles pour le grand public et sans conséquences immédiates, qui peuvent causer des dégâts irréversibles, à long terme.
Certains médias bien renseignés en parlent, mais ne prêchent que les convaincus. Les citoyens américains ne réalisent pas ce qu’il se passe. Pire, Trump est en course pour un deuxième mandat.
Lewis est convaincu de l’importance de son message. Il estime qu’il est essentiel qu’un maximum de monde en prenne également conscience.
Il se lance alors dans l’écriture de ce livre ‘The Fifth Risk”, avec l’espoir de toucher des millions d’Américains.
Voici son résumé en quelques lignes :
"Le brillant récit de Michael Lewis parle de la transition présidentielle bâclée de l'administration Trump et nous emmène dans les coulisses d'un gouvernement dont les dirigeants sont marqués par l'ignorance délibérée et la cupidité.Le gouvernement des Etats-Unis gère une vaste gamme de services essentiels qui protègent et soutiennent les vies de millions d'Américains, qu'il s'agisse d'assurer la provenance des aliments et des médicaments, de prévoir les phénomènes météorologiques extrêmes ou de traquer et de localiser l'uranium du marché noir avant que les terroristes ne le fassent. "The Fifth Risk" présente les catastrophes qui peuvent survenir si les personnes qui contrôlent le gouvernement n'ont aucune idée de ce qu'elles font".
Comment faire pour maximiser l'impact de son message ? Comment convaincre les sceptiques ? Comment ne pas écrire un énième pamphlet anti-Trump sans impact ? Comment contrer l’homme qui est devenu le symbole de l’utilisation d’une rhétorique dangereuse et frauduleuse ?
Si vous étiez à la place l’auteur, comment auriez-vous structuré votre argumentaire ?
L’émotion plutôt que la raison
La première option qui se présente à l’auteur est de lister tous les domaines dans lesquels Trump échoue à sa mission.
À l’aide de graphiques, de tableaux et de statistiques, il peut faire appel à l’esprit cartésien de ses lecteurs. Démontrer scientifiquement que ce qu’il met en place n’a aucun sens.
Il peut déconstruire ses discours pour insister sur leur absence de cohérence. Mettre en lumière ses contradictions sous forme d’une liste interminable qui soulignerait le grotesque de la situation.
Mais vous me voyez venir.
Vous vous doutez bien que ces méthodes ont déjà été employées à de nombreuses reprises par ses opposants, sans résultat.
L’usage de la rationalité n’est d’aucune utilité lorsqu’il s’agit de convaincre quelqu’un. L’auteur en est conscient.
Il sait que les défenseurs de Trump ne prendraient même pas le temps de lire son “torchon”. Ils diraient que les chiffres sont manipulables. Que l’auteur est un ennemi de la nation.
Michael Lewis choisit une autre option.
Il sait que lorsqu’il s’agit de convaincre quelqu’un, il n’y a rien de plus puissant que de susciter des émotions. De créer de l’empathie chez son lecteur.
Pour cela, il faut raconter des histoires.
Déconstruire la structure du livre
1- L’introduction
L’introduction de Lewis est un modèle.
Le rôle d'une introduction (qu'il s'agisse d'un livre, d'un article ou tout type de contenu) est d’accrocher le lecteur et de lui ouvrir suffisamment l’appétit pour qu’il y dédie 4 à 5 heures de son temps.
L’introduction doit mettre en lumière un point de tension qui illustre les principaux enjeux du sujet.
Dans “The Fifth Risk”, Lewis explique qu’un candidat qui parvient au second tour de l’élection présidentielle américaine a pour obligation légale de fournir une liste de 1 200 personnes, qu’il compte intégrer dans son administration s'il est élu.
Le futur président doit être opérationnel le plus rapidement possible et il ne doit pas perdre de temps dans la transition.
Lewis explique que Trump ignore, puis se moque de cette règle. Il n’a aucune envie d’engager des frais et de dépenser son énergie à la constitution de cette liste de 1 200 personnes.
Son cabinet va finalement le pousser à engager un homme du nom de Chris Christie pour cette tâche.
Christie va essayer de remplir son rôle au mieux. Mais Lewis explique que Trump va le virer sans raison, quelques jours avant l’élection. Il va ensuite bricoler cette liste lui-même, en dernière minute.
Lewis ne choisit pas cette anecdote avec Chris Christie par hasard. Celle-ci souligne que Trump n’est pas uniquement cruel et incontrôlable avec ses opposants politiques, mais également avec les personnes de son propre camp qui souhaitent l’aider.
Cette introduction prépare le lecteur à la suite du livre et introduit le message de Lewis à son lecteur : un président irresponsable a pris les commandes du pays le plus puissant au monde.
2- Les parties
Lewis construit ensuite le corps du livre autour de grandes histoires. Celles des femmes et des hommes qui occupent des fonctions clefs, souvent obscures, dans l’administration du pays.
Chaque grande partie traite d’un département de l’État américain, sous l’angle de l’une des personnes clefs qui le composent.
Dans la partie I, il parle d’Ernest Moniz, l’un des plus grands experts américains du nucléaire et de son rôle dans le Département de l’énergie.
Dans la partie II, il présente Ali Zaidi qui occupe un poste clef dans le département de l’agriculture.
Dans la partie III, il nous introduit à Kathy Sullivan, la première femme envoyée dans l’espace. Elle joue un rôle essentiel dans l’Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique.
À chaque fois, le schéma des parties est le même :
- Il commence par raconter l’histoire de la personne. Son éducation, l’environnement dans lequel elle a grandi, ses rêves, ses ambitions ainsi que les épreuves qu’elle a rencontrées.
- Il explique comment cette personne s’est retrouvée en poste dans l’administration publique. Il met en lumière l’importance de son rôle et des compétences très spécifiques (voir uniques au monde) qu’elle possède. Souvent, ces personnes ne sont pas politisées. Elles font leur travail sous la houlette d’un gouvernement (Obama, en l'occurrence), mais n’ont pas de lien partisan avec celui-ci.
- Il raconte ensuite comment s’est effectuée la transition avec l’administration Trump et les personnes qu’il a choisies pour les remplacer. Trump se donne un malin plaisir à les renvoyer pour mettre à la tête ses amis du secteur privé qui n’ont aucune connaissance dans le domaine et possèdent très souvent des conflits d’intérêts majeurs.
- Il insiste enfin sur les risques majeurs que font peser ces choix hasardeux sur le pays et le monde entier. Par exemple, l’une des équipes en charge du nucléaire (celle d’Ernest Moniz), renvoyées par Trump, était notamment en charge des négociations avec l’Iran pour leur désarmement nucléaire.
L'auteur aurait pu se contenter d’expliquer que les personnes choisies par Trump ne sont pas compétentes.
Mais l’argumentaire aurait manqué d’impact.
Les personnes que présente Lewis ont toutes des parcours de vie très forts. Il prend le temps de donner un maximum de détails et nous immerge dans le quotidien des personnes invitées à prendre la porte, afin de créer de l’empathie.
Il met l’accent sur leur dévouement pour le service public.
Cela renforce la dramaturgie du texte et le sentiment de révolte qui monte en nous à la lecture du livre.
3- Choisir le titre du livre
Lewis pose la même question à chaque personne qu'il présente dans le livre : quels sont les potentiels risques d'une mauvaise gestion de votre département par l'administration Trump ?
Chaque personne présente ses potentiels scénarios catastrophes.
L'un d'entre eux évoque un dernier risque, le cinquième de sa liste.
Il en parle comme celui étant le plus dangereux : "prendre l'habitude de répondre à des enjeux long-terme par des solutions à court terme."
Il explique que la plupart des risques sont comme des bombes avec un long temps de retardement. Les conséquences des actions ne sont pas immédiates, mais mettent du temps à se manifester. Le genre où elles explosent, cela fait énormément de dégât.
(L'actualité récente et la pandémie de Coronavirus nous en donne une illustration grotesque : Trump a renvoyé l'équipe en charge de prévoir les pandémies, en 2018.
Sur le moment, Trump est convaincu de réduit les coûts et les dépenses publics. Mais cela fait peser un risque sanitaire sur tout le pays.)
Le cinquième risque n'est pas le plus visible, mais le plus vicieux.
Lewis décide d'en faire le titre de son livre. Il coche toutes les cases : il est mystérieux, mais laisse entrevoir son contenu.
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Bonjour Valentin!!!
Article d'une grande qualité une nouvelle fois !
Excellente note de lecture ! Le titre de Michael Lewis, The Fifth Risk, reste toutefois assez mystérieux.
Oui le court terme, l'effet d'actualité est souvent préféré par nos gouvernants. L'impact à long terme va pourtant, presque toujours, peser beaucoup plus lourd pour la collectivité. Réfléchir à 5 ans, qui est votre leitmotiv, devrait être enseigné à l'ENA et dans les Ecoles de Management. C'est d'ailleurs ce que faisait de Gaulle, en de nombreuses circonstances, et notamment avec le "Plan indicatif, ardente obligation des français".
A certains moments, on s'interroge: Trump a-t' il était si mauvais que le disent tous les bien-pensants ? N'a-t' il pas fait baisser le chômage aux Etats-Unis ? N'avait-il pas raison concernant le pillage de la propriété intellectuelle par la Chine ?
En lisant votre résumé, on ne s'interroge plus. Si Trump a eu parfois raison, c’est probablement le fruit du hasard ou de son manque de sens diplomatique.
Je prépare actuellement un blog et j'ai déjà ajouté quelques "inserts" du procédé Lewis que vous recommandez. Certes, l'article sur lequel je travaille (Le Bataclan, plus jamais) est assez politique. Mais on disait en 1968 que tout était politique. Et ce n'est pas entièrement faux. Arthur Koestler dans ses romans a souvent fait de la politique et a sans doute fait usage du procédé Lewis. Même la science-fiction transpose des faits politiques réels. J'imagine que si on creuse un peu Don Quichotte, on trouvera dedans des procédés Lewis. La grande différence est que ces auteurs ne nous disent généralement pas qui est le personnage dont il relate les "exploits".
Le mystère demeure : le 5e Risque, pourquoi ce titre ? L'auteur ne devrait-il pas parler de 2e risque ?